Bibliothécaire sur le fil
Venez découvrir un portrait tous les mois.
Ariane Lepilliet
1. Pour commencer, il serait intéressant de connaître ton parcours ? Quel a été le déclic te décidant à t’orienter vers le métier de bibliothécaire ?
J’ai été attirée par le domaine du patrimoine écrit depuis très longtemps, j’ai même réalisé mon stage de 3eme aux Archives départementales du Nord. Mais ça ne s’est pas concrétisé en projet professionnel avant le master. J’ai fait deux années de prépa littéraire, complétées par une année de L3 à l’université. Je garde un bon souvenir de l’émulation intellectuelle qui régnait en prépa, et des amitiés que j’y ai nouées, mais j’y suis allée principalement par défaut de pouvoir choisir à 18 ans une orientation plus précise, et j’en suis sortie avec exactement la même indécision. L’année de fac a été peut-être encore plus stimulante intellectuellement, mais d’une manière différente. En revanche je ne savais toujours pas quoi faire professionnellement de ma vie, Le recherche et l’enseignement ne m’ont jamais attirée, et je paniquais en voyant que j’arrivais à Bac + 3 avec un bagage qui restait complètement théorique et ne préparait en soi à aucun métier. J’ai découvert l’histoire du livre à l’occasion d’un cours, et de là m’est venue mon idée d’orientation. J’ai donc postulé à un master de l’ENSSIB (École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques) qui prépare à la gestion de fonds patrimoniaux en bibliothèque. Ma soif de professionnalisation a été un peu douchée la première année car le cursus restait encore trop généraliste et pas assez technique , et seul un stage de 3 mois était proposé la deuxième année. Le fait de passer des concours de la fonction publique ne m’a jamais vraiment intéressée, depuis (et sans doute à cause de) l’époque de la prépa. Je commençais à sentir à quel point mon choix d’orientation était masochiste en termes de stabilité professionnelle à venir (spoiler : et j’avais raison!).
2. Quelles ont été les difficultés pour atteindre un poste stable ? Peut-être as-tu même quelques conseils, pour ceux et celles qui auraient envie de s’orienter vers ce domaine ?
J’ai eu toutefois la chance de trouver un premier emploi très rapidement après l’obtention de mon diplôme, un Volontariat International (V.I.A) à New Delhi. C’est un type de contrat d’un ou deux ans réservé aux jeunes diplômés, qui pour peu qu’on soit prêt à s’expatrier et braver les barrières culturelles et linguistiques, offre la chance d’accéder à des postes de cadres extrêmement intéressants et formateurs. J’étais donc responsable de la bibliothèque de l’Alliance Française fusionnée avec celle de l’Institut Français en Inde (l’organe culturel de l’Ambassade de France, là où une Alliance Française est une association de droit local). En revanche, en rentrant en France ça a été très compliqué de trouver un travail dans mon domaine, j’ai connu de longues périodes de chômage et de découragement qui contrastaient un peu douloureusement avec l’expérience foisonnante indienne. Je dois confesser ici que les entretiens d’embauche et les oraux ne sont pas mon fort. Mais il est très important de toujours garder confiance en soi.
J’ai effectué un remplacement à la bibliothèque municipale du Havre, pour laquelle j’ai déménagé en Normandie tout en gardant mon appartement à Lille -on ne plaque pas tout pour un CDD. C’était une période financièrement très précaire, mais professionnellement formidable. Il faut savoir que plus on part dans un domaine un peu de niche comme ça, plus la mobilité sera inévitable. Et la mobilité professionnelle, surtout si « subie », et surtout avec des salaires proposés très bas par rapport au niveau de qualification, peut être un facteur pesant. Certains s’en accommodent heureusement très bien, mais il faut garder cela en tête.
J’ai fini par décrocher mon premier CDI plus 5 ans après mon Master, mon poste actuel à Interbibly.
Ce n’est peut être pas propre à ce domaine, mais lorsqu’on cherche un emploi ce sont les expériences professionnelles et les compétences techniques qui jouent beaucoup, les formations sont souvent un peu trop déconnectées de ces enjeux. Je conseillerais aux étudiants de discuter avec des professionnels en poste (plusieurs si possible, c’est toujours précieux de multiplier les points de vue) pour bien saisir les réalités du terrain, les réalités administratives, les attentes du moment en termes de compétence. De soigner son CV visuellement. Et de s’entraîner à bien se vendre à l’oral !
3. Comment peut-on envisager l’avenir du métier de bibliothécaire ? La conjoncture actuelle peut être effrayante pour les plus jeunes et les étudiants en particulier.
As-tu une vision plus optimiste ?
Les métiers de la culture en général connaissent une certaine précarité que je ne vois pas s’arranger à l’avenir, au contraire. Le nombre de places ouvertes aux différents concours ne fait que fondre, et ce dans la majorité des domaines de la fonction publique j’ai l’impression. La conjoncture n’est pas vraiment favorable. Et ce n’est pourtant pas le travail à faire qui manque, loin de là. Le métier de bibliothécaire est un métier qui évolue avec son temps et les pratiques de son temps, notamment numériques. C’est un métier passionnant et qui a toute sa place au XXIe siècle et peut-être même plus que jamais. Je précise à toutes fins utiles que nous ne nous contentons pas de ranger les livres et de demander le silence, s’il ne fallait citer que deux clichés. Dans le contexte actuel, c’est un véritable enjeu social et sociétal que de garantir un accès égal et de qualité à l’information, à la lecture (que ce soit pour le loisir, l’éducation, l’apprentissage), à la culture... Nous participons notamment à la lutte contre l’illettrisme ou contre la fracture numérique. Dans certains territoires, la bibliothèque est le seul équipement culturel disponible. Un des rares services public ouverts à tous et dont les offres sont de plus en plus entièrement gratuites.
Ce sont clairement des métiers qui ont du sens et c’est très important. Ce sens a néanmoins le prix d’une certaine précarité, des salaires bas du public, du sous-effectif faute de recrutements en adéquation avec la charge de travail.
Pour le domaine du patrimoine plus particulièrement, il y a peu de postes mais aussi peu de gens formés, et paradoxalement sur certains postes j’ai déjà vu des difficultés à recruter.
4. Pour approfondir le terrain, peux-tu nous exposer une journée type, habituelle dans la vie d’un bibliothécaire ?
Sur mon poste actuel je ne suis pas à proprement parler bibliothécaire mais chargée de mission. Interbibly est une association professionnelle de coopération entre les acteur du livre, de la documentation et du Patrimoine écrit dans le Grand Est. Presque chaque région dispose d’une structure similaire, dont le but est de conduire des actions en faveur de l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques…) et d’organiser la coopération professionnelle dans le domaine du livre. Elles constituent le relais privilégié entre ces différents acteurs et l’État et la Région, afin de mettre en œuvre et d’ajuster les politiques publiques du livre et de la lecture sur le territoire à l’échelle régionale. Je ne suis donc directement en contact ni avec les collections ni avec le public, et en ça mon travail actuel diffère beaucoup de celui de bibliothécaire. Je reviendrai plus loin en détail sur mes missions, mais elles sont très variées selon les projets en cours, et il n’y a pas vraiment de journée type. Cela varie entre les déplacements, du travail de bureau (beaucoup), des formations... Pour ce qui est de bibliothécaire, en particulier de fonds anciens puisque c’est ce que je connais le mieux, une journée type alterne entre des plages de services public en salle et du travail « de coulisse » sur les collections selon le profil de son poste : conservation préventive, préparation d’actions de médiations (expositions, accueils de classe, ateliers, articles de blog...), catalogage ou amélioration des notices existantes, etc. C’est clairement la partie immergée de l’iceberg, que le public ne voit pas mais qui constitue le gros du travail.Les collections patrimoniales ne sont d’ailleurs pas figées, elle s’accroissent de nouveaux dons et acquisitions. Le patrimoine de demain se constitue aujourd’hui, et on aurait totalement tort de penser que patrimonial est le synonyme exclusif de « vieux et poussiéreux ».
5. Oserais-je te demander les côtés positifs et les côtés négatifs de ton métier ?
Sur mon poste actuel, les côtés négatifs sont ceux que j’ai évoqués précédemment : on ne travaille pas au contact direct ni du public ni des collections, et évidemment en période de crise sanitaire et de limitation des déplacement et des réunions c’est particulièrement le cas. Mais dans le même temps j’ai la chance de ne pas travailler dans une bibliothèque, mais avec plusieurs dizaines. Mais aussi avec des services d’archives, des centres de documentation, des maisons d’écrivain... Je découvre donc énormément de choses et j’apprends beaucoup. Nous sommes une toute petite équipe à Interbibly, mais je travaille en collaboration avec de nombreuses personnes, dans un cercle beaucoup plus large et varié que si je travaillais dans une seule bibliothèque. En outre, j’organise régulièrement des formations et j’en suis beaucoup. J’ai donc cette sensation très gratifiante d’apprendre régulièrement de nouvelles choses et d’enrichir ma pratique professionnelle. J’aime beaucoup transmettre, et depuis quelques mois je suis également formatrice de certaines des stages que nous proposons, autour de la valorisation du patrimoine sur les réseaux sociaux, ou autour du catalogage des manuscrits par exemple. Selon les projets en cours, on est amenés à s’intéresser à de nouveaux domaines : le monde de l’édition, les fonds d’archives littéraires, les problématiques des publics empêchés, etc. Comme nous sommes une petite équipe, je suis (à peu près !) ce que font mes collègues donc l’éventail est très large. La variété des missions, qui empêche une certaine routine de s’installer, est très stimulante.
6. Tu as d’ailleurs un rôle essentiel au sein de l’association Interbibly. Peut-on nous en dire davantage à ce sujet et les missions qui sont les tiennes.
Nous sommes trois chargée de mission à Interbibly, l’équipe se complète d’une comptable présente deux matinées par semaine. Nous avons chacune un champ d’action défini : vie littéraire et lecture publique (avec la casquette de direction en plus), communication et numérique, patrimoine écrit. Chacune de nous est essentielle dans son rôle au sein de l’association. D’ailleurs les périodes où un des postes a été vacant ont été très compliquées.
Notre champ d’action est très vaste : nous organisons notamment un festival littéraire itinérant, des rencontres d’auteurs en lycée, des actions de promotion de la lecture en direction des publics empêchés ou éloignés (en milieu carcéral par exemple), ou encore des journées professionnelles et de formations. Nous faisons de la veille professionnelle via notre site et notre newsletter, nous avons également un rôle d’accompagnement et de conseils aux professionnels.
En ce qui concerne le patrimoine écrit, le rôle d’Interbibly est de coordonner des actions de signalement (nous nous attelons actuellement à un important chantier de mise à jour du Catalogue Général des Manuscrits dans toutes les bibliothèques du Grand Est par exemple) et de valorisation des collections patrimoniales de la région. La Bibliothèque nationale de France (BnF), dont nous sommes pôle associé régional, et la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) sont nos partenaires privilégiés dans ces missions patrimoniales. Nous coordonnons deux plans de conservation partagée (périodiques et jeunesse). Nous venons de lancer un groupe de travail et d’entraide sur les plans d’urgence et la conservation préventive en bibliothèque/archive/musée. Après la publication du livre Trésors des bibliothèques et archives de Champagne-Ardenne, nous lançons un nouveau projet coopératif de valorisation à l’échelle régionale autour des fonds d’archives littéraires.
7. Avec ton travail au sein d’Interbibly, tu as eu l’occasion d’établir un lien essentiel entre tous les acteurs du métier du livre et particulièrement du patrimoine écrit dans le Grand Est.
Les gens ne se rendent peut-être pas bien compte de la richesse patrimoniale qui existe dans cette région. As-tu une anecdote à nous partager ou un coup de cœur autour de ce patrimoine régional ?
Il faut savoir que même au sein d’un même territoire, les professionnels du patrimoine ne se connaissent pas toujours et ne travaillent pas toujours ensemble. Ce rôle de lien est donc très important, dans un domaine où la coopération professionnelle et l’entraide apportent tant.
Le patrimoine écrit et graphique conservé dans les établissements du Grand Est est très riche. Je dis un peu cela par chauvinisme, et d’ailleurs toutes les régions ont un patrimoine souvent aussi riche que peu connu ou sous-évalué par le grand public. Mais de fait les collections du Grand Est sont très riches. Par exemple, la bibliothèque municipale de Colmar conserve la plus grande collection d’incunables (les livres imprimés avant 1501) après celle de la BnF. La médiathèque de Troyes Champagne Métropole, elle, conserve le plus important ensemble de manuscrits médiévaux, après la BnF. Historiquement, la région a de nombreux liens avec l’histoire de l’imprimerie, ses débuts en Alsace, ou la littérature de colportage à Troyes par exemple, ou encore l’illustration du livre, lien qu’elle conserve et alimente toujours aujourd’hui. Le Grand Est est une des régions qui comportent le plus de Bibliothèques Municipales Classées. Elles sont 7 et sont labellisées ainsi notamment pour la richesse de leurs collections patrimoniales. Nous conservons les fonds de beaucoup de grandes figures littéraires : Rimbaud à Charleville-Mézières, Verlaine à Metz, l’humaniste Beatus Rhenanus à Sélestat pour n’en citer que trois. Certains de ces ensembles documentaires sont même inscrits au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO. A côté de cela de nombreuses bibliothèques plus modestes conservent des fonds patrimoniaux très intéressants. Absolument impossible de ne citer qu’un coup de cœur, par contre nous en avons partagé des centaines dans l’ouvrage Trésors, et on poursuit sur nos comptes Twitter et Facebook chaque semaine, avec un billet #mercredipat mettant en valeur un document, un fonds ou un établissement remarquable de la région.
8. Pour rester dans cet univers du patrimoine écrit, j’aimerai que l’on parle de ton compte Instagram. Tu as un compte Instagram qui avoisine les 10,000 abonnés, ce qui est incroyable pour l’univers du livre ancien je trouve ! Est-ce que selon toi, les réseaux sociaux peuvent avoir un impact positif sur l’évolution du livre ancien en général ?
Oui ce n’est pas mal pour un domaine autant de niche, et sans être une institution. J’espère un jour pouvoir prétendre au rare titre d’influenceuse livre ancien. Je ne sais pas bien ce que j’influence mais je veux le titre. A défaut d’influence j’espère au moins faire découvrir ces richesses de notre patrimoine au plus grand nombre, sensibiliser à certains enjeux notamment l’importance de sa bonne conservation, et a minima proposer du contenu esthétiquement plaisant -car comme pour l’art en général le « simple » plaisir esthétique est déjà une fin en soi, et je lui accorde une grande importance.
J’espère que l’impact est positif, en tout cas les réseaux sociaux ne sont jamais que des outils, à nous de nous les approprier et d’en tirer le meilleur pour servir nos missions de valorisation du patrimoine écrit et graphique. Le compte de Gallica sur Instagram réunit presque 150 000 abonnés, je trouve ça formidable. Avec les réseaux sociaux on a l’opportunité de toucher un public sans doute bien différent de celui que nous voyons en salle de consultation. Et chose à ne pas négliger, les agents, et moi la première, prennent souvent plaisir à alimenter ces comptes. Cela crée une bonne dynamique d’équipe en interne, et donne en retour une image positive à l’établissement (allez voir ce que fait la Bibliothèque Intercommunale d’Epinal par exemple !). Dans le contexte plus large de démocratisation culturelle, le domaine du livre ancien mérite un certain dépoussiérage, et pas seulement littéralement (mais hélas souvent déjà littéralement).
9. Je n’ai pas peur de dire que tu as lancé la mode du bibliotourisme à travers ton compte Instagram suivez_le_fil. Comment pourrait-on favoriser la promotion de ce patrimoine culturel si riche ?
Je ne sais pas si j’ai lancé la mode, mais effectivement j’adore bibliotourismer, c’est un travers qui n’est pas si rare dans la profession. Je pousse parfois le vice à programmer des escapades avec comme objectif principal la visite d’une bibliothèque. Je crois en avoir visité largement plus d’une centaine, j’ai perdu le fil -si je puis dire. Mais il y a plusieurs très beaux comptes Instagram dédiés à cette thématique.
Parfois ce ne sont pas que les collections qui ont un intérêt patrimonial, mais le lieu lui-même. Ils sont tantôt méconnus, tantôt bien identifiés comme des lieux touristiques à part entière. C’est par exemple le cas de la magnifique bibliothèque Carnegie de Reims qui est une pépite architecturale de l’Art Déco, et située à deux pas de la cathédrale. Des visiteurs y viennent uniquement pour y admirer les locaux. Les Journées Européennes du Patrimoine jouent un rôle important dans la mise en lumière de ce patrimoine architectural, et permettent de voir les coulisses, les magasins, les réserves, l’envers du décors. Mais il y a d’autres initiatives. La promotion de ce patrimoine culturel est un travail de longue haleine, mais il appartient à tous, il est donc important que tous y aient accès -et de sensibiliser le plus grand nombres -des élus au simple citoyen - à l’importance de sa bonne conservation pour que les générations futures puissent aussi en profiter.
10. Tu es également une grande voyageuse et tu as à ton actif un nombre incalculable de bibliothèques à travers le monde. Quel est pour toi, même si cela peut paraître réducteur, ton souvenir le plus marquant à ce sujet ?
As-tu encore beaucoup de projets de voyages autour de cette thématique, un souhait particulier, une bibliothèque qui représenterait l’apothéose ?
J’ai principalement voyagé en Europe, et vu la situation sanitaire cela ne va pas change tout de suite, mais j’adorerais visiter des établissements en Amérique du Nord ou du Sud notamment. En Europe, la bibliothèque de l’abbaye autrichienne d’Admont me fait rêver, j’ai un petit faible pour les bibliothèques baroques et celle-ci est un must. En fait le but de mes visites n’est pas tant l’espionnage industriel (en mode regarder les classements adoptés, les services innovants etc...avec un regard professionnel) que du pur tourisme pour apprécier la beauté et l’histoire du lieu.
Une des dernières bibliothèques visitées à l’étranger a été la Connemara Public Library, qui comme son nom ne l’indique pas se trouve à Chennai, en Inde. C’était assez incroyable. Nous avions une seule journée à passer à Chennai avant notre vol retour, et j’ai tanné mes compagnons de voyage pour aller voir cette bibliothèque. Après des péripéties en rickshaw sous une chaleur écrasante, nous arrivons pour découvrir qu’elle est fermée au public car en travaux. Heureusement un des bibliothécaires nous a très gentiment ouvert les portes et on a pu visiter les lieux, qui datent de la fin du XIXe siècle, complètement figés dans le temps, ou plutôt même hors du temps. C’était magique.
11. As-tu d’autres ambitions à ce sujet ? J’ai toujours pensé qu’il serait intéressant de développer ce concept, de le rendre encore plus populaire ? Trouver une formule idéale n’est pas chose aisée. La crise sanitaire complique pas mal la mise en place de projets de ce genre mais dans un futur proche, pourquoi ne pas plancher sur une idée.
Je ne sais si j’ai d’autres ambitions que de partager cette passion sur Twitter et Instagram, et au mieux donner envie aux gens de découvrir ces lieux du patrimoine. Il existe déjà des ouvrages du types « les plus belles bibliothèques du monde », je ne suis pas sûre de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice de ce côté là. En termes de blogs ou de sites internet il y a aussi quelques exemples, par exemple une initiative européenne de la LIBER (Ligue des Bibliothèques Européennes de Recherche) qui répertorie les bibliothèques à l’architecture remarquable. On peut aussi citer le blog Library Planet par exemple, qui se présente comme un guide de voyage pour les amoureux de bibliothèques. Mais si tu as une idée pour développer le concept je suis preneuse !
12. Je me demandais quel était ton rapport à la bibliophilie à titre personnel ? Es-tu une grande acheteuse ou au contraire, marches-tu plus par coup de cœur. Certains bibliophiles vont se focaliser sur une thématique, une période, voire un genre de reliure. Fais-tu partie de cette branche de bibliophile ou pas du tout ?
Je ne suis pas une grande acheteuse, j’achète très occasionnellement quand je vois des choses pas chères ou au coup de cœur. J’ai peur de vraiment me lancer là dedans sans le budget qui suit et d’en être frustrée. C’est aussi que la possession des livres ne m’intéresse pas vraiment en soi, j’ai vraiment un point de vue de bibliothécaire pour ça. Gardien mais pas possesseur. Je fais beaucoup de salons de livres anciens mais je suis une mauvaise cliente, celle qui regarde tout des heures mais n’achète rien. Après je suis persuadée qu’on apprend beaucoup en voyant et manipulant beaucoup de livres, au contact matériellement des ouvrages. Je suis très attirée par tout ce qui concerne la bibliographie matérielle. Mais je suis encore assez novice pour ce qui est d’évaluer et comprendre les valeurs des livres, le monde de la bibliophilie côté marchand.
13. Plus généralement, trouves-tu que la bibliophilie reste encore minoritaire dans la sphère féminine, ou au contraire qu’une évolution semble également se faire sentir depuis quelques années ? Comment à titre personnel perçois-tu ce phénomène ?
De ce qu’on peut en voir dans les salons, il y a manifestement encore un manque de diversité de ce côté, notamment en matière de genre. Maintenant, les choses évoluent, et on voit de plus en plus de femmes dans le domaine de la bibliophilie, que ce soit du côté collectionneurs ou libraires (par exemple Camille Sourget ou Ariane Adeline pour ne citer que ces deux noms qui me viennent à l’esprit). En tout cas j’aime à penser que ça évolue en ce sens. Ce n’est pas un phénomène récent en soi, on a vu pas mal d’expositions ou de monographies sur la question de la bibliophilie au féminin dernièrement, par exemple au Château de Chantilly (« Le Cabinet des livres au féminin » fin 2019). Là où l’historiographie avait tendance à avoir effacé le rôle des femmes dans de nombreux domaines, il y a un mouvement de réexamen historique sous ce prisme. Pour ce qui est des bibliothèques patrimoniales, comme en bibliothèque en général, les effectifs sont sans surprise majoritairement féminins (ma promo était quasi exclusivement féminine par exemple), néanmoins il y a quand même beaucoup d’hommes. Maintenant que j’y pense il faudrait regarder statistiquement ce qu’il en est, s’il y a une différence entre le patrimoine et la lecture publique, si c’est une question de génération, et la corrélation entre le genre et le grade occupé, ça m’intrigue.
14. Qu’attendrais-tu de la bibliophilie actuelle ? Trouves-tu qu’elle demeure encore trop sectarisée, trop discrète ?
Je pense que ça reste un domaine de niche, de connaisseurs. Dans le monde du marché de l’art, la bibliophilie est même souvent décrite comme un domaine un peu à part. Même si on peut se lancer sans y consacrer de budgets faramineux, la belle bibliophilie a un prix. Ce domaine peut paraître très élitiste de l’extérieur. Et le livre a ça de particulier qu’on peut s’intéresser autant à son contenu intellectuel qu’à sa forme matérielle. Mais c’est très intéressant de réfléchir à comment intéresser un public plus vaste à ce monde passionnant, que ce soit côté bibliothèques publiques ou libraires spécialisés.
15. Pour terminer cette petite interview, j’aimerai aborder un point plus personnel de l’univers des livres. Pourrais-tu partager un coup de cœur littéraire de ces derniers mois et éventuellement, un livre qui aurait marqué ton existence, celui qui aurait changé ta vie d’une certaine façon.
Je n’ai pas lu beaucoup dernièrement, mais par mon travail j’ai l’occasion de découvrir beaucoup d’auteurs de la région, et dernièrement j’ai lu et beaucoup apprécié Ce qu’il faut de nuit, de Laurent Petitmangin, auteur lorrain. C’est un premier roman poignant et d’une grande justesse autour des relations père-fils, de l’effritement des idéaux politiques dans un territoire marqué par les difficultés sociales et la montée de l’extrême-droite -qui sera un tournant narratif majeur du récit. J’ai aussi beaucoup apprécié Les Métamorphoses de l’auteur chalonnais Camille Brunel. Comme son nom l’indique, le livre est un clin d’œil aux Métamorphoses d’Ovide. Le livre est aussi ponctué de références à Lautréamont et ses incroyables Chants de Maldoror. L’auteur, militant animaliste, nous pose le décor de cette fiction quelque peu apocalyptique : une étrange épidémie fait rage qui transforme les humains en animaux sauvages. Le livre nous interroge sur notre rapport aux animaux et à la biodiversité, à notre anthropocentrisme, mais aussi à notre rapport à la nature en général, à la vie, à la mort. Les scènes de métamorphoses y sont particulièrement belles.
A titre personnel, j’ai un faible pour les romans du XIXe siècle avec une conscience sociale, j’aime beaucoup Zola, Elizabeth Gaskell ou Dickens par exemple. D’ailleurs j’ai beaucoup apprécié récemment l’adaptation BD d’Au bonheur des dames par Agnès Mauprès. C’est un roman d’une grande force, que je trouve très actuel sous certains aspects d’ailleurs.
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Par ailleurs, elle a participé également à deux ouvrages que vous pouvez trouver dans toutes les bonnes librairies.
Trésors des bibliothèques de Champagne-Ardenne
Collectif
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31 Octobre 2019
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50 bibliothèques et archives - dans l'Aube, la Marne, la Haute-Marne et les Ardennes - ont ouvert leurs fonds et sortis leurs plus beaux trésors 80 auteurs, archivistes et bibliothécaires, commentent les trésors sur lesquels ils veillent.
Plus de 200 trésors sont présentés, recoupant toutes les périodes historiques : d'objets antiques jusqu'aux livres d'artistes contemporains, en passant par les chartes et riches manuscrits médiévaux, les incunables, les ouvrages des Lumières, des gravures, des photographies, des carnets de guerre,...
Ce livre met en lumière, grâce aux images et à des courts textes, les richesses de l'histoire champenoise : les grandes abbayes, le sacre des rois de France, les industries textiles, le vignoble champenois, en passant par les guerres qui ont défiguré le territoire, jusqu'aux artistes d'aujourd'hui.
Toutes les photos proviennent du compte d'Ariane avec son aimable autorisation.